Et si un « nuisible » mal compris pouvait aider à restaurer les écosystèmes, à autonomiser les femmes, à préserver le patrimoine culturel et à soutenir la résilience climatique ?
En Indonésie, l’utilisation des cocons dorés de la mite à soie sauvage Cricula trifenestrata a permis de poursuivre cet objectif depuis les années 1990. L’espèce est présente dans toute l’Asie tropicale, avec une présence notable en Indonésie (en particulier à Yogyakarta) et à Sulawesi, en Thaïlande, dans le sud de la Chine, en Inde et au Sri Lanka.
Enracinée dans la philosophie javanaise du Hamemayu Hayuning Bawana (laisser le monde meilleur pour les générations futures), cette initiative résonne profondément avec la vision du Congrès mondial de la nature de l’UICN 2025 d’une transition vers des économies et des sociétés positives pour la nature.
Depuis plus de 30 ans, l’initiative Royal Golden Cocoon of Java (Cocon doré royal de Java) a tissé la science, le patrimoine et la diplomatie dans un modèle vivant de société positive pour la nature. Initiée par la famille royale de Yogyakarta et soutenue par la relation entre les provinces jumelées de Yogyakarta et de Kyoto depuis 1985, cette collaboration a réuni des scientifiques japonais, des artisans de Kyoto et des communautés locales de Yogyakarta, en Indonésie.
Ce qui a commencé comme un effort local pour améliorer les moyens d’existence ruraux a depuis transformé une espèce « nuisible » en un biomatériau fonctionnel, démontrant comment une science ouverte et des partenariats interculturels peuvent fournir des solutions de conservation tangibles.
La valeur cachée d’un « nuisible »
Contrairement à la soie commune produite par le Bombyx mori domestiqué, qui présente une surface lisse et non poreuse, la soie sauvage de Cricula trifenestrata se distingue par sa structure unique.
Observés pour la première fois par le professeur Dr Hiromu Akai en 1988, les cocons de Cricula présentent un réseau complexe de pores mesurant seulement 0,1 à 0,8 micron de diamètre. Parmi les espèces de Saturniidae, seul l’Argema mittrei (le papillon-comète de Madagascar), protégé, présente une densité de pores plus élevée.
Cette structure poreuse naturelle confère à la soie de Cricula toute une gamme de propriétés absentes de la soie conventionnelle, ce qui en fait ce que certains appellent la « soie saine » du futur. Ses caractéristiques respirantes, anti-UV et antimicrobiennes ouvrent la voie à des utilisations prometteuses dans de multiples industries.
Dans le textile, elle offre une option durable pour des tissus non toxiques et respectueux de la peau. En cosmétique, les protéines de la soie sont appréciées pour être non allergènes et riches en antioxydants. Dans le secteur pharmaceutique, des pigments dérivés des cocons de Cricula ont même été brevetés pour une utilisation dans le traitement de la cataracte. En mettant en évidence ces liens entre la structure poreuse des cocons et leur potentiel d’innovation, la soie de Cricula démontre comment les espèces sauvages peuvent ouvrir la voie à des matériaux de haute performance basés sur la nature.
Restauration et autonomisation grâce à une économie circulaire à Java
À un peu plus d’un kilomètre du paysage javanais d’importance culturelle du tombeau royal d’Imogiri, construit en 1632, la zone de boisement de la mite à soie sauvage Cricula contribue à stabiliser des pentes sujettes à l’érosion le long de la ligne de crête commune.
En plantant toute une variété d’arbres fruitiers et ombragés, favorisés par la mite à soie sauvage polyphage Cricula, la communauté locale a réduit le risque de glissement de terrain et amélioré à la fois la biodiversité et le patrimoine culturel, démontrant comment les solutions fondées sur la nature peuvent renforcer la résilience bioculturelle. L’initiative adhère au principe de zéro émission et suit un modèle régénératif et circulaire avec un impact environnemental minimal. Mais sa plus grande force réside peut-être dans son impact social.
Les femmes rurales, formées en tant que tisseuses de Soie sauvage royale, gagnent non seulement un revenu stable, mais ont également trouvé un sentiment renouvelé de responsabilité et d’identité. Grâce à une plus grande indépendance économique, elles sont mieux en mesure de se protéger et de protéger leurs enfants contre les mariages précoces ou forcés.
En faisant progresser l’égalité des sexes, le projet soutient directement l’ODD 5 et offre un exemple puissant de la façon dont l’autonomisation des femmes peut améliorer l’intendance locale, un facteur clé pour le succès de la conservation inclusive et à long terme dans le cadre des cibles mondiales 30 par 30 qui seront discutées lors du Congrès mondial de la nature de l’UICN 2025.
Un modèle de science ouverte réplicable à l’échelle mondiale
Avec plus de 160 000 espèces de mites connues dans le monde, dont beaucoup produisent des cocons à la structure unique, cette ressource naturelle reste largement inexplorée.
En revisitant ces espèces à travers le prisme de la science moderne et de l’innovation, nous aurons une chance de découvrir une valeur cachée. L’accès aux connaissances sur la biodiversité n’est pas un luxe mais un droit humain fondamental, profondément lié à la santé, au bien-être et à un avenir durable. Libérer ce potentiel dépend d’une collaboration ouverte et inclusive.
La cartographie des espèces à grandes aires de répartition, comme Cricula trifenestrata, ne pourra se faire que grâce à une collaboration garantissant que les communautés locales soient respectées en tant que détentrices de connaissances et reçoivent une part équitable des avantages potentiels, tels que les revenus et la reconnaissance découlant de l’utilisation de ressources naturelles locales.
Le Congrès mondial de la nature de l’UICN 2025 offre une occasion vitale d’approfondir l’échange de connaissances, de renforcer les capacités et de répliquer à plus grande échelle des solutions fondées sur la transparence et la gérance collective.
Le Royal Golden Cocoon of Java reflète la vision du Congrès de l’UICN 2025 et de la Motion 081 sur une transition vers des économies régénératives. À l’origine une initiative locale, elle offre un exemple vivant de la façon dont les connaissances bioculturelles, la gestion de la biodiversité et la gouvernance inclusive peuvent soutenir un changement transformateur vers un avenir positif pour la nature.
Le Congrès offre une plateforme opportune pour échanger des pratiques, approfondir les alliances et tracer de nouvelles voies reliant la biodiversité, la science ouverte et le patrimoine culturel. Étendons ce qui fonctionne, honorons l’accès et le partage équitable des avantages, et veillons à ce que chaque communauté dispose des connaissances, des outils et de la reconnaissance dont elle a besoin pour prospérer.