
Le Corps mondial de conservation (Global Conservation Corps, ou GCC en anglais) a été fondé au plus fort de la crise du braconnage des rhinocéros en Afrique du Sud en 2015. Avec un comité directeur composé d’amis engagés, j’ai initialement fondé l’organisation pour rendre hommage à mon mentor déchu, Martin Mthembu, l’un des formateurs d’écogardes les plus vénérés de l’histoire du continent africain. Au cours de sa vie, Martin a formé plus de 15 000 écogardes dans certains des parcs nationaux les plus riches en biodiversité et les plus menacés. Il a inculqué aux communautés locales les compétences, la confiance et les outils nécessaires pour protéger la faune sauvage. Il était également une figure paternelle pour de nombreux jeunes gens perdus. Je faisais partie de ce dernier groupe. Lorsque Martin est décédé le 2 août 2014, un grand vide s’est abattu sur la communauté des écogardes et sur le petit monde de la conservation en général. Martin m’a sauvé la vie trois fois sur le terrain, et pour lui rendre hommage, je voulais m’assurer que sa mémoire, sa mission et son ambition d’investir dans la jeunesse africaine perdurent.
Déconnexion
Pour honorer Martin, notre premier projet fut RHINO MAN, une histoire sur les courageux écogardes et leur engagement à protéger la faune sauvage à travers le monde. Le protagoniste de ce film était un grand ami de Martin et moi-même : le regretté sergent Anton Mzimba. Lors du tournage en 2017, Anton nous a dit que sa plus grande peur n’était pas de perdre le rhinocéros, mais plutôt que ses propres enfants n'aient jamais la chance d'en voir. Anton répétait que la majorité des jeunes vivant en bordure d’aires protégées n’avaient jamais vu d’animaux sauvages, et que sans cet amour pour la nature, les jeunes locaux ne se battraient pas pour défendre le monde naturel. Choqué par cette information, GCC a interrogé plus de 500 étudiants vivant le long de la frontière ouest du parc national Kruger, découvrant que quatre jeunes sur cinq interrogés n’avaient jamais vu d’animaux sauvages.
Ces élèves pouvaient entendre les lions rugir e avaient entendu des histoires de leurs grands-parents sur le pâturage de leur bétail avec des buffles, mais n’avaient jamais eu de lien direct avec leur patrimoine naturel. Cette division généralisée trouve son origine dans le passé séparatiste de l’Afrique du Sud, où les communautés locales ont été forcées de quitter la région de Kruger dans les années 1960 pour faire place à des zones exclusives de conservation de la faune exclusives. Si la conservation était une priorité, les personnes ne l’étaient pas, et aujourd’hui, plus de 60 ans plus tard, des clôtures, des droits d’entrée au parc relativement élevés et le manque d’accès aux transports font que de nombreuses personnes demeurent encore à la frontière du parc Kruger, exclues du monde naturel. Cette disparité se traduit au-delà des seules différences liées à la faune sauvage et imprègne l’ensemble du paysage socioéconomique. Les taux de pauvreté, de chômage et de criminalité continuent d’augmenter, tous contribuant à une augmentation du commerce illégal d’espèces sauvages. Obtenir l'équité est primordiale, c'est l'un des cinq thèmes du Congrès mondial de la nature de l’UICN de cette année, en octobre, car si les communautés locales ne sont pas prioritaires, la conservation de la faune et la flore sauvages ne le sera pas non plus.
Programme Future Rangers (Futurs écogardes)

Avec cette perspective de conservation centrée sur l’humain, le programme Future Rangers (FRP en anglais) est né comme un mécanisme éducatif pour que les jeunes développent la passion, les compétences et les liens nécessaires pour suivre des carrières dans le domaine de la conservation. Le FRP travaille avec des jeunes à partir de cinq ans, et jusqu’à l’obtention de leur diplôme. Dans les écoles primaires, nos éducateurs sont chargés d’une seule chose : rendre la conservation cool ! Chaque étudiant a la possibilité de participer à un safari dans une zone où sont présents les Big 5, généralement avec nos incroyables partenaires du Southern African Wildlife College, du Koru Camp ou de la réserve naturelle privée de Timbavati. Au fur et à mesure que les élèves progressent vers l’école secondaire, le FRP prend un format extrascolaire, dans lequel nous nous concentrons sur les 10% d’élèves souhaitant poursuivre une carrière dans la conservation. Au cours de leurs années de collège, les élèves participent à des leçons hebdomadaires de la part notre équipe éducative et partent une fois par trimestre pour diverses excursions et camps de leadership, afin d’être exposés à divers cheminements de carrière dans le secteur. A la sortie du lycée, nous n’acceptons que cinq élèves par école, les jumelons avec des mentors et leur trouvons des opportunités de stage. L’objectif étant que nos diplômés obtiennent de plus amples opportunités d’éducation, des stages et finalement un emploi, devenant ainsi des leaders locaux dans le secteur de la conservation.
La prochaine génération de leaders

En 2020, au plus fort de la pandémie de Covid, GCC a lancé une bourse pour que les jeunes méritants accèdent en tant qu’écogardes de terrain au Southern African Wildlife College. Plus de 500 personnes ont postulé sur une période de 48 heures ! Nous avons interviewé les 120 meilleurs candidats et, parmi ceux-ci, 41 personnes ont été invitées à participer à la sélection. Au cours d’une semaine de sélection épuisante (voir RHINO MAN pour en savoir plus), les 15 meilleurs candidats ont émergé et ont reçu un accès à une formation d’écogarde armé de six semaines.
Le jour de la remise des diplômes, le délégué de classe s’est approché de moi et a remercié GCC pour cette opportunité qui lui avait changé la vie. Cet homme s’appelle Mbhoni Mzamani et il a changé ma vie à jamais. Je savais à ce moment-là (photo ci-dessus) que c’était quelqu’un qui changerait le monde. Quelques semaines plus tard, GCC lui a proposé un poste pour rejoindre notre équipe. Mbhoni et moi partagions une théorie selon laquelle la plupart des jeunes n’avaient aucune idée de la variété des opportunités de carrières qui existent à leur porte, en particulier celles liée à la faune sauvage. Une fois encore, nous avons mené une enquête auprès de plus de 500 étudiants et avons constaté que l’étudiant moyen n’était capable d’énumérer que trois carrières possibles dans le domaine de la conservation (guide, écogarde ou personnel d’entretien). Pour ajouter plus de complexité à la situation, la Covid-19 a fermé toutes les écoles, ce qui signifiait que nous n’avions plus accès aux élèves dans les salles de classe. Tout un monde de possibilités inexplorées existait pour des milliers de jeunes, et nous savions que quelque chose devait changer. C’est comme ça que la série YouTube Careers in Conservation (Carrières dans la conservation) est née. Mbhoni a pris le rôle d’animateur (vous verrez pourquoi) et de producteur, tandis que j’ai assumé le poste de réalisateur. Nous avons fait appel à un cinéaste incroyablement talentueux, Justin Sullivan, en tant que directeur de la photographie, et avons embauché Vusi Mathe et Zac Holben en tant qu’équipe de montage. En tant qu’unité, nous avons créé quelque chose qui n’avait jamais été fait auparavant dans la région. Nous avons tiré parti du pouvoir disruptif des médias pour promouvoir l’innovation et le leadership pour la conservation, un autre des thèmes du Congrès de l’UICN de cette année. Il s’agissait de la première série de conservation produite exclusivement dans la langue locale Xitsonga, parlée par plus de quatre millions de personnes. Nous avons interviewé exclusivement des professionnels de la conservation issus des mêmes régions que les étudiants que nous cherchions à inspirer, produisant 11 épisodes uniques lors de notre première saison.
Dans les six mois suivant le lancement de la série, plus de 50 000 étudiants le long de la frontière du parc Kruger suivaient nos contenus. Après avoir mené des enquêtes post-série, nous avons constaté une augmentation positive significative de la perception de la faune sauvage par les jeunes et une augmentation marquée de leur désir de poursuivre une carrière locale dans la conservation. Mais susciter la passion n’était qu’un début. Comment aiderions-nous les étudiants à combler le fossé entre leur nouvelle passion pour la nature et un emploi tangible ?
Vumba : un impact à grande échelle
Comme pour l’évolution naturelle du travail dans la sphère des ONG, plus nous apprenons, plus nous découvrons. À ce jour, nos programmes ont touché plus de 15 000 élèves. Cependant, nous avons rencontré d’énormes défis pour suivre ces étudiants, identifier les étoiles montantes et être en mesure de mesurer notre impact réel en tant qu’ONG. Nous avons également eu du mal à trouver des ressources pédagogiques, à comprendre où les ONG partenaires travaillaient et nous n’avons pas réussi à suivre nos étudiants après l’obtention de leur diplôme. Après avoir consulté nos partenaires, nous avons découvert que des dizaines d’ONG à travers l’Afrique étaient aux prises avec les mêmes problèmes.
Pour résoudre ce problème systémique, nous avons développé Vumba, une plateforme de prestation de services éducatifs qui permet au GCC (et aux ONG partenaires) de suivre les progrès non seulement de leurs programmes, mais aussi des étudiants et de leurs parcours d’apprentissage. Pour la première fois dans cette région, les étudiants sont en mesure de prouver leurs résultats en matière de conservation via un portefeuille numérique, ce qui aide les meilleurs d’entre eux à trouver un emploi après obtention de leur diplôme. Nous avons tiré parti des puissants avantages de la technologie pour réduire les obstacles à l’entrée des jeunes sur le marché du travail, en attestant de leur apprentissage, de leurs résultats scolaires et des compétences qu’ils ont développé.
L’avenir

Alors que GCC fête ses 10 ans le 31 mai 2025, nous reconnaissons l’incroyable leadership qui a soutenu notre travail à ce jour. Des légendes comme Martin, des mentors comme Anton et des innovateurs comme Mbhoni sont la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd’hui. Alors que nous approchons de l’objectif de conservation 30x30 du Cadre mondial pour la biodiversité, il est de notre responsabilité collective d’écouter les héritages de ces héros et de créer des environnements propices à l’émergence de la prochaine génération de leaders. Comme nous en discuterons au Congrès de l’UICN plus tard cette année, notre monde a désespérément besoin de visionnaires à la fois fermement enracinés dans la réalité et promoteurs d’un avenir meilleur, à la fois pour les personnes et la faune sauvage.
Bien à vous en matière de conservation,
Matt Lindenberg
Directeur exécutif
Global Conservation Corps
Membre de la Commission de l’UICN de l’éducation et la communication 2021-2025