En 2020, la Section sur les grands singes (SGS) et la Section sur les petits singes (SPS) du Groupe de spécialistes des primates (GSP) de la Commission pour la sauvegarde des espèces (CSE) de l’UICN ont lancé une initiative audacieuse et innovante pour faire face à l’une des menaces les plus graves auxquelles les singes sont confrontés aujourd’hui : la multiplication des projets d’infrastructure, d’agro-industrie, d’exploitation minière et d’énergies renouvelables à grande échelle dans les habitats des singes.
Le Groupe de travail ARRC (Éviter, Réduire, Restaurer et Conserver, en anglais) a été créé en réponse directe à l’impact croissant des projets de développement à grande échelle sur les populations de grands singes. Avec plus d’un tiers des grands singes africains déjà menacés par les activités minières1, l’urgence est claire. Ces projets non seulement détruisent et fragmentent les habitats, mais ils ont souvent des répercussions bien au-delà de la source de l’impact.
Le Groupe de travail représente un nouveau modèle innovant sur la façon dont la science de la conservation peut influencer positivement les résultats des projets de développement, sans compromettre l’indépendance ou l’intégrité.
Des politiques à la pratique : faire valoir les normes de la SFI
Cet effort s’appuie sur une victoire politique majeure enregistrée par les membres des SGS/SPS : le plaidoyer réussi pour que la Société financière internationale (SFI) adopte des réglementations de prêt plus strictes pour de tels projets en incluant une nouvelle clause, le paragraphe 73, dans sa note d’orientation 2019 pour la norme de performance 6 (NP6). Cette clause reconnaît la sensibilité du groupe des grands singes aux projets de développement et recommande aux promoteurs de projets de consulter la SGS pour obtenir des informations sur leur approche d’atténuation.
Le Groupe de travail ARRC a été créé pour rendre ces orientations opérationnelles : une démarche pionnière dans le rapprochement de la science de la conservation et du financement du secteur privé. Depuis son lancement, plus de 35 projets ont sollicité des orientations. Chaque demande est examinée par un comité directeur de l’UICN composé de 20 membres. Si le Groupe de travail accepte de s’engager après son processus de diligence raisonnable, il forme un comité d’examen personnalisé de 3 à 5 experts des singes pour évaluer l’approche du projet et recommander des améliorations.
Transparent, dirigé par des experts et indépendant
Le modèle de l’ARRC repose sur des conseils indépendants et scientifiques, tous les commentaires étant rendus publics sur son site Web. Cette transparence renforce la responsabilité, non seulement envers les prêteurs et les promoteurs, mais aussi envers la communauté de la conservation et la société civile.
La contribution de l’ARRC a conduit à des évaluations de référence des grands singes et des plans de suivi à long terme plus solides, à des stratégies d’atténuation plus robustes et à des plans de gestion à la fois pratiques et efficaces. Il est important de noter que le Groupe de travail collabore également directement avec les prêteurs, faisant pression sur les projets pour qu’ils adoptent de meilleures pratiques et évitent le « greenwashing ». Enfin, le Groupe de travail ARRC s’efforce d’autonomiser la prochaine génération de primatologues grâce à son programme de développement des capacités Primate WATCH. Jusqu’à présent, 25 primatologues d’Afrique de l’Ouest, du Centre et de l’Est ont été formés aux meilleures pratiques mondiales de gestion des impacts des projets de développement.
Cependant, de nombreuses difficultés persistent. De nombreux projets ne respectent toujours pas les plans, en partie en raison de la faiblesse des systèmes d’audit et de l’absence de mécanismes de responsabilisation. Le Groupe de travail maintient son indépendance en refusant tout financement des projets, de sorte que le financement durable de ce type de travail consultatif innovant reste une lacune critique.
Un modèle évolutif et une conversation lors du Congrès
Le succès du Groupe de travail ARRC offre un modèle potentiel pour d’autres groupes de spécialistes de l’UICN. Les prêteurs et les promoteurs se demandent de plus en plus comment entrer en contact avec des experts sur un plus large éventail d’espèces et d’écosystèmes, mais il n’existe actuellement aucun mécanisme formel pour mobiliser l’expertise sur d’autres espèces. Nous pensons que la consultation d’experts devrait être obligatoire pour tout projet ayant un impact sur des espèces menacées.
L’approche du Groupe de travail ARRC visant à intégrer l’expertise en matière de conservation dans les projets complète l’appel de la Motion 080 en faveur d’une amélioration de la communication des entreprises sur leurs impacts négatifs et la réduction au minimum de ces derniers, ainsi que celui de la Motion 079 en faveur de mécanismes de financement réglementés et responsables qui préservent la biodiversité et empêchent le « greenwashing ».
Alors que la communauté de la conservation se prépare pour le Congrès mondial de la nature de l’UICN 2025, c’est maintenant que cette conversation doit avoir lieu. Comment renforcer l’engagement d’experts auprès du secteur privé sans compromettre la crédibilité, la transparence ou l’intégrité scientifique ?
Le Groupe de travail ARRC montre que ceci est possible, et que lorsque l’expertise de l’UICN est appliquée de manière stratégique, elle peut mettre un terme au statu quo et produire de meilleurs résultats pour la nature.